- Bonjour ! Je suis Grimoire, je prends aujourd’hui la casquette de journaliste pour interroger… hum, tu peux nous rappeler ton nom s’il te plaît ?
- Bonjour Grimoire ! Je m’appelle Isaac Novell et je viens du projet « Les Inspirés » de Lyra-d-encre.
- Eh bien enchantée ! Commençons par des questions simples, quel âge as-tu ?
- 36 ans.
- Es-tu humain ?
- Parfaitement. Deux bras, deux jambes, un beau bidon au milieu et tout en haut une tête avec deux yeux, un nez, une bouche et -ma petite touche personnelle- une fine moustache avec un mini bouc, je suis bien humain
. Sauf si, comme Victor – l’un de mes camarades Inspirés –, vous considérez que les Inspirés ne sont plus tout à fait humains.
- Un Inspiré ? Qu’est-ce que c’est ?
- Ce sont des personnes qui ont fusionné avec des Muses et ont développé, en conséquence, une capacité à faire de la magie grâce à l’art et ont besoin de s’adonner fréquemment à des activités créatrices ou de représentation. Pour ma part, je fais surtout de la représentation car je suis comédien, clown pour enfants hospitalisés et aussi maître de jeux de rôle.
- Oh, clown pour enfants hospitalisés, voilà un métier difficile mais très beau (enfin moi ça me rappelle une série, Tout va bien, qui est excellente allez la regarder). Bref. À quoi ressemble la magie que tu pratiques ?
- Déjà, oubliez les chaudrons, le nez crochu et la cape noire. Ça m’irait terriblement mal *rire*. Il paraît que certains Inspirés sont capables de tout faire avec leur magie, mais ça n’est pas mon cas. Ma spécialité, c’est les émotions. Je suis capable, par mon attitude combinée à un peu de mana, d’influencer l’état d’esprit des gens. Je peux par exemple aider quelqu’un qui est en colère à se calmer, une personne triste et abattue à retrouver du courage, ou un public blasé à retrouver allégresse… Victor dit que je suis capable de manipuler les gens, mais je ne suis pas du tout d’accord avec ça parce que ce terme est associé pour moi à une éthique négative et à l’idée d’aller à l’encontre de ce qui est bon pour la personne. Et je compte bien ne jamais utiliser mes pouvoirs pour autre chose qu’aider les gens.
- Cela fait deux fois que tu parles de Victor. Il a l’air important pour toi, qui est-ce ?
- *rire* C’est amusant, parce que si je devais dire qui dans mon cercle d’amis est le plus important pour moi, même parmi les Inspirés, je n’aurais jamais choisi Victor. Non pas qu’il n’ait pas de valeur à mes yeux -tout le monde en a-, mais c’est quelqu’un qui a une attitude relationnelle très opposée à la mienne et des idées qui ne me viendraient jamais naturellement à l’esprit. C’est un peu déstabilisant de fréquenter quelqu’un comme ça, parce que ça oblige à toujours questionner ce qu’on prend pour acquis. Et même si ce n’est pas agréable sur le coup, il est toujours bon d’apprendre à composer avec des personnes très différentes de soi et d’être capable de travailler ensemble.
- En parlant de composer, je suis sûr que vous n'avez pas les mêmes goûts. Toi, quelle ta couleur préférée ?
- Avant d’avoir ma Muse, c’était le marron chaud des planches de bois du théâtre, sans concession. Depuis que nous avons fusionné, j’avoue avoir développé une préférence supplémentaire pour d’autres couleurs naturelles : le blanc neige, les nombreuses teintes de verts forêt et aussi le bleu du ciel.
- Ton animal préféré ?
- Ne riez pas. Si si, je vous vois dans le fond, vous allez rigoler. C’est le blaireau, à cause de la maison Poufsouffle dans Harry Potter. Je sais bien qu’en vérité, les blaireaux sont loin d’être des créatures commodes, mais parce qu’il me fait penser à cette maison où on mange bien et où on rigole entre camarades, je l’adore.
- Bon, si on parle du blaireau de Poufsouffle, alors je suis d'accord. Passons à une question critique : pain au chocolat ou chocolatine ?
- Chocolatine : c’est Bellès ici, c’est le Sud ! Et avec tout ça, maintenant, j’ai gourmandise.
- Ouh la, hérésie ! Je ne sais pas si je continue l'interview du coup *rires* Pardon, je m’égare. La suite, la suite… Décris-toi en cinq mots.
- Drôle (enfin, j’essaye), empathique (je ne fais même pas exprès : je ressens juste très facilement les émotions des gens), gentil (ça découle probablement du point précédent… je suis un people-pleaser), grand-enfant (je mets le trait d’union, comme ça, ça compte pour 1 mot) et… rond. Parce que physiquement, je suis rond et aussi parce que je trouve que ma personnalité est un peu ronde aussi : je n’ai pas d’angle sur lesquels les gens pourraient se blesser.
- C'est une jolie image, je trouve. Est-ce que tu as de la famille ? Quelles sont tes relations avec elle ?
- J’ai des parents, probablement tous les deux en vie même si mon père nous a abandonnés, ma mère et moi, quand j’étais tout jeune. Je n’ai pas de frères ou de sœurs, du moins à ma connaissance (va savoir si mon père ne m’en a pas fait des demis). Mais cela ne m’intéresse pas de le savoir à vrai dire, pour moi il est sorti de ma vie et cela ne m’affecte plus. Je vois ma mère de temps en temps, ainsi que sa sœur — ma tante — à l’occasion. J’imagine que je pourrais essayer de les voir plus souvent, ça leur ferait probablement plaisir… mais mes passions dévorantes m’en laissent peu le temps.
- Je comprends... Même question pour les amis.
- J’ai énormément d’amis ! C’est un peu mon don spécial : j’aime m’en faire et j’y arrive bien. Il y a mes 2 collègues clowns à l’hôpital de Bellès, le personnel aussi que je commence à bien connaître, mes camarades de la troupe de théâtre et ma bande de potes du jeu de rôle. Nos relations s’entretiennent surtout en groupe dans le cadre de nos activités : j’ai assez peu le temps de les voir en dehors, encore moins uns par uns, même si ça arrive évidemment de temps en temps. Et il y a bien sûr la bande des Inspirés, que je fréquente principalement dans le cadre de nos missions.
- Tu m'as tout l'air d'un bisounours ! Est-ce qu’il y a des gens que tu détestes ?
- Alors, des gens que je déteste personnellement, non. J’ai trop d’empathie pour pouvoir détester quelqu’un que j’ai déjà rencontré en fait, c’est presque maladif : je vais toujours comprendre son point de vue et deviner ses blessures, donc il m’est impossible de rester dans la haine même si je peux condamner leurs actes. Par contre, il y a des grandes catégories de personnes que je déteste : les gens qui abusent de leur position (au travail, ou dans la société) pour leur confort personnel et au détriment du bien commun. Comptez-là dedans les politiciens qui mentent, ne tiennent pas leurs promesses d’améliorer la vie des gens mais accumulent tranquillement richesses et pouvoirs. Comptez aussi les pollueurs, que ce soient des entreprises ou des individus, qui savent très bien que c’est mal de balancer un produit chimique dans la rivière ou des cannettes en foret, mais s’en fichent car ça leur est plus simple que d’investir dans des systèmes de recyclage ou d’emporter un sac poubelle pendant leur pique-nique. Je pourrais continuer en vous parlant de certains décisionnaires dans les milieux hospitaliers ou artistiques qui imposent des décisions honteuses, mais vous voyez le topo.
- Je vois, je vois. Mais du coup, tu fais quoi dans la vie ?
- Mon statut officiel est intermittent du spectacle du coup et je gagne ma vie notamment avec mes cachets de représentation théâtrale. Je ne vous cache pas que ça ne paye pas super bien, il m’arrive de devoir faire des petits boulots à temps partiels en plus régulièrement pour payer le loyer.
- Tu fais quoi de ton temps libre ?
- J’avoue que j’ai tellement d’activités déjà planifiées que je ne sais plus trop ce que c’est *rire*. Même si, évidemment, ce sont des activités planifiées de bénévolat ou de loisirs que j’adore. Je répète souvent mes textes entre deux, je prépare mes parties de jeux de rôle ou je prends des nouvelles de mes amis. Depuis que je suis devenu un Inspiré, j’ai aussi pas mal de rencontres avec les autres membres du groupe pour préparer des actions militantes.
- Pour toi, être un Inspiré, c’est donc du militantisme ?
- Un peu, parce que mes amis Inspirés m’y poussent, mais ça n’est pas le cœur de la chose pour moi. Certains dans le groupe voient dans le militantisme écologique une nécessité inhérente à notre nature d’Inspirés –il faut aider à préserver les Muses– et je les comprend. Forcément. *rire*. Mais moi je pense qu’être un Inspiré, c’est surtout un style de vie. Ça veut dire que j’aime l’art, que je m’épanouis dans sa pratique et que j’ai envie de rendre les gens heureux grâce à ça.
- Et donc, quels sont les missions des Inspirés ?
- Principalement des actions du domaine écologique et du développement durable car c’est ce qui préserve les milieux naturels et donc, la vie des Muses. Concrètement, nous essayons de faire connaître et prospérer les bonnes initiatives citoyennes locales comme le tiers-lieux agricole « Le Jardin des possibles » où réside Amalia, le SEL [Système d’échange local] de Bellès, le Fab-Lab, l’agriculture urbaine… et évidemment, dès que nous en avons l’occasion, nous poussons les personnes un peu artistes à oser pratiquer et montrer ce qu’elles font ! Car ça aussi, ça nourrit les Muses et leur évite de disparaître.
- Tu as des rêves, des objectifs ?
- Des rêves oui, plein. Des objectifs… moins. Un objectif, c’est concret, atteignable, on peut faire un plan pour l’atteindre. Moi je me laisse plutôt aller à rêver : rêver que les gens puissent, tous autant qu’ils sont, s’épanouir dans ce qu’ils aiment autant que moi je le fais. Que chaque petite âme puisse raviver sa Flamme et embellir le monde de sa propre lumière.
Et de manière plus égoïste, rêver de pouvoir vraiment gagner ma vie grâce à mon art. Avec assez d’argent, je pourrais prendre soin de ma mère autant qu’elle le mérite.
- C'est très beau ce que tu dis. Tu es un rêveur, donc, mais tu as des regrets, des soucis ?
- Non… enfin… oui. Mais je ne veux pas me plaindre : je sais que j’ai une chance inouïe d’avoir rencontré ma Muse et de pouvoir faire ce que j’aime au quotidien, alors je n’embête pas les autres avec ça. Mais financièrement, ce n’est pas la joie, et c’est parfois lourd de devoir compter les centimes, d’aller régulièrement faire la queue à la soupe populaire pour manger et de compter sur des associations pour me vêtir. J’aimerais tellement ne plus devoir m’inquiéter de ça, et aussi, que les gens n’aient pas à devoir sacrifier leurs passions et leur Flamme pour éviter d’être dans ma situation. Parce que ça me mine moi au quotidien d’être précaire, mais c’est le choix que j’ai fait pour poursuivre ma voie car l’abandonner aurait été pire pour moi. Mais d’autres y renoncent pour éviter ces soucis-là et je ressens leur malheur. Ça me peine pour eux. Je tourne parfois en boucle dans ma tête pour chercher des solutions que je pourrais leur proposer pour atténuer cette peine… Pour certains, ça peut être une partie de jeu de rôle pour les aider à s’évader un peu... Mais ça ne convient pas à chacun et même si c’était le cas : je ne peux pas être maître du jeu en chronique pour tout le monde. C’est insolvable.
- Ton empathie a l’air de parfois te mettre dans des situations qui t’occasionnent des dilemmes et de la souffrance. Est-ce que tu y renoncerais si tu le pouvais ?
- C’est sûr que je me prendrais moins la tête… mais cela changerait profondément qui je suis, alors non. Je ne suis peut-être pas la personne la plus productive de la société, ni la plus intelligente ou charismatique, mais j’aime bien qui je suis au final.
- Pas besoin d'être la personne la plus productive de la société pour être suffisant ! Pour terminer cette interview, tu peux nous donner un proverbe que tu trouves inspirant ?
- « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. » William Shakespeare